Covid19 et responsabilités du Maire : une difficile situation d’équilibriste
Publié le :
04/05/2020
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La Crise sanitaire place les élus locaux et tout particulièrement les maires dans une situation d’équilibriste : liés par décisions nationales, ils sont également tenus d’assurer la protection de l’ordre public, incluant la sécurité sanitaire, sous peine d’engager leurs responsabilités administrative, civile mais aussi éventuellement pénale – même si, à la suite d’appels pressants en faveur d’une clarification des rôles et d’une limitation des responsabilités des élus locaux, un amendement tendant à mieux encadrer le risque pénal a été inséré dans la loi prolongeant l’état d’urgence sanitaire.
1) Les maires sont en principe tenus d’appliquer les décisions nationales et voient leurs pouvoirs de police administrative réduits en période d’état d’urgence sanitaire.
En temps ordinaire, le maire, au nom des pouvoirs de police administrative qu’il tient des articles L.2212-1 et suivants CGCT, peut prendre au niveau local des mesures plus restrictives des libertés qu’au niveau national, lorsque des circonstances locales particulières le justifient (CE, sect., 18 déc. 1959, Société « Les films Lutetia », Lebon, p. 693).
En période d’état d’urgence sanitaire, ces pouvoirs municipaux sont plus réduits que d’ordinaire. C’est ce que nous enseigne la jurisprudence récente du Conseil d’Etat confirmant l’illégalité d’un arrêté municipal imposant le port du masque sur le territoire d’une commune pendant la période de confinement (CE, ord. 17 avril 2020, n° 44057). Selon les termes employés par cette décision de justice,
« Les articles L2212-1 et L2212-2 du code général des collectivités territoriales, cités au point 4, autorisent le maire, y compris en période d’état d’urgence sanitaire, à prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques dans sa commune. Le maire peut, le cas échéant, à ce titre, prendre des dispositions destinées à contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l’Etat, notamment en interdisant, au vu des circonstances locales, l’accès à des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements. En revanche, la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’Etat ».
Les hypothèses de décisions protectrices déjà jugées illégales. Ainsi, ont été jugées illégales les décisions municipales interdisant les déplacements à plus de 10 mètres ou imposant le port du masque à la population locale. En revanche, les couvre-feux ont fait l’objet de jurisprudences nuancées, certaines les jugeant illégaux, d’autres admettant leur justification au regard des circonstances locales particulières.
La question du refus d’ouvrir les écoles. Lors de la sortie du confinement, se pose en particulier la question de la possibilité ou non pour un maire de refuser l’ouverture des écoles à partir du 11 mai. La réponse doit faire l’objet d’une évaluation fine, distinguant aspects juridiques et politiques.
S’il est à ce jour interdit au maire de s’opposer d’une façon générale à la décision nationale de réouverture des écoles, qui ne relève pas de ses compétences, les autorités nationales, conscientes du caractère complexe et sensible de la question, ont annoncé initialement vouloir travailler localement en étroite concertation avec les maires puis, quelques jours avant le 11 mai, ont explicitement demandé aux préfets de privilégier le dialogue en ne saisissant pas le juge administratif pour obtenir l’annulation des arrêtés municipaux décidant de ne pas rouvrir les écoles – ce qui n’élimine toutefois pas le risque d’illégalité ni la possibilité de saisine du juge administratif par un tiers.
S’agissant des questions de pure légalité d’un arrêté refusant l’ouverture d’une école, il est vraisemblable que les justifications d’une fermeture prolongée soient plus aisées à fournir pour les écoles situées en zone rouge. En outre, même dans les zones vertes, les circonstances particulières de chaque école doivent être examinées au cas par cas afin de savoir si l’ouverture est ou non possible dans le respect du protocole sanitaire imposé. Si la légalité d’un arrêté municipal refusant par principe l’ouverture des écoles sera difficile à démontrer, il en irait différemment d’un arrêté concernant certaines écoles, qui peut notamment être motivé de façon détaillée par l’impossibilité d’y mettre en œuvre, à ce jour, l’ensemble des mesures de sécurité sanitaire préconisées, compte tenu, par exemple, de la configuration des lieux, des caractéristiques des équipements disponibles ou encore du nombre d’agents et enseignants disponibles.
Les risques. D’une façon générale, une décision prise au nom de la protection de la santé publique et de la lutte contre l’épidémie, qui s’avèrerait illégale, expose son auteur aux risques suivants.
- D’abord, une responsabilité administrative, voire civile, pour la réparation du préjudice causé par la décision illégale ; l’on peut par exemple imaginer le préjudice économique lié à l’impossibilité pour les parents d’élèves de reprendre le travail ou encore le préjudice social lié au maintien de l’éloignement scolaire pour les usagers en difficulté scolaire ou sociale.
- Ensuite, même s’il s’agit de risques moins probables, le maire expose sa responsabilité pénale, au titre de l’interdiction faite à une personne dépositaire de l’autorité publique, agissant dans l’exercice de ses fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec à l’exécution de la loi (art. 432-1 code pénal).
- Il est également susceptible de faire l’objet d’une mesure de suspension ou de révocation (CGCT, art. L.2122-16).
2) Les maires demeurent toutefois tenus de prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter les risques d’atteinte à l’ordre public et garantir la sécurité sanitaire. Une carence les expose à des responsabilités administrative, civile et éventuellement pénale.
Le maintien d’un devoir de prendre les mesures nécessaires au maintien de l’ordre public y compris sanitaire. En dépit des limites rappelées ci-dessus, le maire demeure responsable du bon ordre sur le territoire de sa commune et habilité, au titre de ses pouvoirs de police municipale, à prévenir les risques de troubles à l’ordre public, y compris sanitaire, et à lutter contre les épidémies.
Il s’agit même d’un devoir du maire, sous le contrôle du préfet, habilité à se substituer à lui en cas de carence dans la prévention des risques de troubles à l’ordre public dans ses trois dimensions (sécurité, tranquillité et salubrité publiques).
Ainsi, le Conseil d’Etat (CE, ord. 22 mars 2020, n° 439674, Syndicat Jeunes médecins) a souligné, à la veille de la promulgation de la loi instaurant l’urgence sanitaire, que :
« Les représentants de l’Etat dans les départements comme les maires en vertu de leur pouvoir de police générale ont l’obligation d’adopter, lorsque de telles mesures seraient nécessaires, des interdictions plus sévères lorsque les circonstances locales le justifient ».
Les risques. Les risques généraux sont élevés. Ils sont réduits – mais pas absents – dans le cadre spécifique de l’école.
- Le cas général. En cas de carence, outre la substitution des autorités de l’Etat, le maire s’expose aux risques suivants :
o Une responsabilité administrative (de la commune) ou civile (de la personne du maire, en cas de faute personnelle), pour réparer les préjudices causés par la décision illégale.
o Une responsabilité pénale du maire, pour blessures ou homicide involontaire, dans l’hypothèse où les conditions posées par le code pénal, telles qu’interprétées par la jurisprudence, seraient réunies. En particulier, l’article 121-3 du codé pénal, issu de la loi dite Fauchon, encadre la responsabilité pénale des décideurs : un élu (ou un chef d’entreprise) dont les décisions seraient la cause non intentionnelle et même indirecte d’un dommage, est susceptible d’engager sa responsabilité pénale s’il a « violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement » ou s’il a « commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer »
- Le cas particulier des responsabilités liées au fonctionnement du service d’accueil à l’école.
Selon l’article L133-9 du code de l’éducation,
« La responsabilité administrative de l’Etat est substituée à celle de la commune dans tous les cas où celle-ci se trouve engagée en raison d’un fait dommageable subi par un élève du fait de l’organisation ou du fonctionnement du service d’accueil. L’Etat est alors subrogé aux droits de la commune, notamment pour exercer les actions récursoires qui lui sont ouvertes.
Par dérogation aux dispositions du deuxième alinéa de l’article L.2123-34 du CGCT, il appartient à l’Etat d’accorder sa protection au maire lorsque ce dernier fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits, n’ayant pas le caractère de faute détachable de l’exercice de ses fonctions, qui ont causé un dommage à un enfant dans le cadre de l’organisation ou du fonctionnement du service d’accueil ».
Même protégé juridiquement par la prise en charge de sa défense par l’Etat, le maire demeure ainsi susceptible de voir sa responsabilité pénale engagée en cas de dommage subi par un usager. En outre, ces dispositions spéciales ne s’appliquent qu’aux dommages causés aux élèves, non à ceux qui pourraient être subis par le personnel, enseignant ou encadrant.
3) L’appel des élus à l’adoption urgente d’un texte clarifiant les rôles et limitant les responsabilités
En période d’état d’urgence sanitaire, le maire se trouve donc pris en étau entre deux injonctions contradictoires : tenu juridiquement d’appliquer les décisions nationales imposant la réouverture progressive des crèches et écoles à compter du 11 mai – même si les déclarations politiques récentes se sont voulues apaisantes à ce sujet - en s’efforçant de tout mettre en œuvre pour respecter les règles de sécurité appropriées, il ne doit pas aller trop loin dans l’adoption de mesures d’interdiction ou de restriction, au risque, qu’il en fasse trop ou pas assez, d’engager sa responsabilité, y compris pénale.
L’on comprend dans ce contexte l’inquiétude des élus, encore manifestée le 30 avril par un communiqué de presse de l’AMF (www.amf.asso.fr). Elle justifie l’initiative, prise par le sénateur de l’Eure et soutenue par le bureau de l’AMF, de déposer le 27 avril une proposition de loi « visant à améliorer la sécurité juridique du maire dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ». Si le Premier ministre s’est montré ouvert à la discussion sur ce texte, la Ministre de la justice, Garde des Sceaux, a semblé minimiser la réalité des risques encourus sur le fondement de la législation actuelle pour mettre en doute l’intérêt d’un tel texte.
Cette initiative a été relayée par l’adoption, au Sénat, d’un amendement inséré dans le projet de loi prolongeant l’état d’urgence sanitaire. Ce texte prévoyait de limiter, pendant la période d’état d’urgence sanitaire, les risques de responsabilité pénale les maires décideurs locaux (maires et chefs d’entreprise) ayant exposé autrui au risque de contamination par le covid-19 aux seuls cas d’agissements « intentionnels », ayant causé cette contamination « par imprudence ou négligence dans l’exercice des pouvoirs de police administrative » ou « en violation manifestement délibérée d’une mesure de police administrative prise en application (…) » de l’état d’urgence sanitaire ou « d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ». Seules les autorités de l’Etat demeuraient, selon cet amendement, exposées à une responsabilité pénale dans les conditions classiques de la loi Fauchon.
S’en est suivi un vif débat politique, le Gouvernement et l’Assemblée nationale craignant l’effet politique dévastateur d’une loi d’autoamnistie, ainsi qu’un débat juridique, lié notamment au risque d’inconstitutionnalité d’une différenciation du risque pénal selon les décideurs.
En commission des lois, les députés ont proposé de préciser, à la suite de l’article 121-3 du code pénal, qu’il doit être « tenu compte, en cas de catastrophe sanitaire, de l’état des connaissances scientifiques au moment des faits ». Cette proposition, qui ne modifiait guère l’état du droit, renvoyait à des connaissances très débattues et valait pour tous les décideurs, n’a pas rencontré l’adhésion du Président de la Commission des lois du Sénat.
Finalement, un compromis a été trouvé en commission mixte paritaire, en faveur d’un amendement dont la portée ne doit pas être surestimée.
4) La nouvelle rédaction de l’article 121-3 du code pénal neutralise largement les tentatives sénatoriales de limitation de la responsabilité des décideurs locaux.
Il résulte du compromis parlementaire inséré le 9 mai dans la loi prolongeant l’état d’urgence sanitaire que l’article 121-3 du code pénal s’appliquera « en tenant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l’auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire, ainsi que de la nature ou de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu’autorité locale ou employeur ».
L’exposé des motifs insiste sur l’objectif poursuivi : rassurer à la veille du déconfinement, en clarifiant la responsabilité pénale des maires qui, « dans cette situation particulière, ne sont chargés que de la mise en œuvre de décisions qui leur sont imposées ».
La portée de cet ajout au droit existant ne doit pas être surestimée. En effet, en substance, ces précisions correspondent aux éléments dont tient déjà compte la jurisprudence pour évaluer la réunion des éléments constitutifs de l’infraction de mise en danger délibérée d’autrui.
La loi prolongeant l’état d’urgence sanitaire a été déférée au Conseil constitutionnel et devrait, sauf inconstitutionnalité, être promulguée le 13 mai.
Nos équipes suivent de près l’évolution jurisprudentielle et législative de ce sujet.
Elles demeurent aux côtés des acteurs locaux pour les guider, quotidiennement, dans l’appréciation la plus fine possible, compte tenu du contexte évolutif, des marges de manœuvres disponibles et des risques juridiques encourus.
Contact : contact@vpng.fr
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